Faut-il éviter le mot “sextoy” pour parler d’objets de plaisir ? C’est ce que prône la marque Maude, et sa nouvelle investisseuse et co-directrice de création, Dakota Johnson. Oui, la même Dakota Johnson qui joue le rôle d’Anastasia Steele dans Cinquante Nuances de Grey.
Selon Éva Goicochea, la fondatrice de Maude, qualifier les vibros de “jouets sexuels” banalise leurs bienfaits basiques : procurer une stimulation qui améliore le bien-être sexuel et aide à se sentir bien. En les réduisant à des gadgets juvéniles, les besoins et la satisfaction des gens demeurent insatisfaits et négligés”.
La marque préfère donc les termes “essentiel” ou “intimité moderne”.
Vraiment, éviter le mot “sextoy” ?
La blogueuse américaine Epiphora s’insurge sur Twitter de cette volonté de contrôle du vocabulaire. Il y a quelques années, celle-ci avait publié un article intéressant sur la tendance qu’ont certains créateurs de sextoys à vouloir redoubler d’euphémismes pour mentionner leurs produits.
Pour ma part, j’ai beau collectionner les sextoys et les adorer, parmi les produits que je qualifierais d’“essentiels”, il y a les pâtes, le riz, le savon, et d’autres trucs dans le genre, les préservatifs s’il est question de sexe… Mais certainement pas les sextoys !
Dans un monde idéal, ils le seraient peut-être, mais beaucoup trop de gens ont du mal à se procurer des produits nettement plus indispensables pour qu’on puisse inclure les sextoys dans la liste des trucs de première nécessité. Notamment les protections périodiques, qui seront distribuées gratuitement dans tous les campus universitaires dès la rentrée de septembre 2021 suite à une décision gouvernementale.
Notons tout de même que la marque Maude part d’une bonne intention, songeant aux femmes qui ne parviennent pas à obtenir un orgasme sans utiliser de vibro. Et qu’elle commercialise des sextoys… euh, pardon, des vibros, d’aspect plutôt classe, avec un packaging sympa et un étui, pour 45 dollars, soit moins de 40 euros. Aucune idée de ce que valent leurs produits en matière d’efficacité, mais en tout cas, ils ne sont pas chers.
Mais refuser le terme de “jouets” érotiques me semble un peu triste. Depuis quand les adultes n’auraient-ils plus le droit de jouer ? Oui, pouvoir prendre du plaisir sexuel est important. Mais, sous prétexte qu’on est adulte, faut-il à tout prix se prendre au sérieux en se masturbant ? Et pourquoi pas aussi ronchonner un coup pendant la branlette, si possible en lisant le journal histoire d’être sûr de ne vraiment pas s’amuser, peuh, trop juvénile comme attitude !
Pourtant, de nombreux adultes aiment les godes qui changent de couleur, qui brillent dans le noir, ou qui leurs rappellent leurs séries télé ou leurs jeux vidéo favoris. Cela fait-il de nous des attardés ? Si oui, tant pis, nous serons des attardés ravis de s’amuser avec des jouets rigolos.
Tant que l’efficacité n’est pas négligée pour autant, être fun n’a jamais nui à quoi que ce soit. A part si l’on parle d’un cabinet d’huissiers ou d’une entreprise de pompes funèbres. Mais là, je m’égare…
Bien évidemment, ce renommage dénote aussi une volonté d’éviter le mot “sexe”. Sur Instagram, la marque Maude ne s’en cache pas, en mentionnant que Facebook censure les pubs contenant le mot “sextoy” ? Mais la meilleure solution à cela est-elle vraiment de renoncer à dire “sextoy” ?
Love store vs Sex-shop
Cette histoire rappelle celle de la distinction entre un “sex-shop” et un “love store”, à laquelle de nombreux love stores tiennent beaucoup. Initialement, cette distinction a beaucoup aidé les sextoys à se populariser, et à attirer davantage de femmes.
L’idée était de s’éloigner du vieux cliché du sex-shop un peu sordide au coin d’une ruelle, lieu de fantasme pour certains, mais avec un côté un brin embarrassant et effrayant, suffisant pour dissuader beaucoup de nanas de s’y aventurer seules. Il faut dire que se faire reluquer par l’homme à l’imperméable du coin fait rarement partie du package que l’on souhaite obtenir lorsqu’on projette d’acheter un sextoy.
Mais à l’heure actuelle, peu de sex-shops à l’ancienne subsistent. Les quelques survivants ayant pignon sur rue, reliques des années 90, attirent un public de nostalgiques ou d’aventuriers souhaitant s’imprégner de l’ambiance des cinémas pornos à l’ancienne en visitant leurs cabines vidéos. Par exemple, la blogueuse hotwife Amante Lilli et son mari candauliste fêtent chaque année le Nouvel An avec un bukkake ou un gang bang dans un X-Center, ce qui permet aux fans masculins les plus fidèles de les y rejoindre sans critère de sélection financier à l’entrée.
Et du côté du net, seules quelques marques orientées BDSM gay, comme Oxballs ou Meo.de, continuent de montrer des corps nus pour illustrer leurs produits. La grande majorité des boutiques en ligne commercialisant des sextoys ont revêtu un look rassurant et non-évocateur.
De nos jours, les sextoys n’effraient plus grand-monde. Certains désapprouvent, mais tout le monde sait ce que c’est. Et on en vend un peu partout, y compris dans des enseignes mainstream comme Amazon ou Vente Privée.
Petite parenthèse : je viens de découvrir avec étonnement que les Trois Suisses avaient poussé la blagounette assez loin, relançant pour rire le vibro non-assumé des années 50 avec des masseurs de joue à l’allure plutôt suspecte ! Cela dit, si vous cherchez un accessoire efficace pour vous tripoter la joue, nos tests de sext… euh… de masseurs de joue pourront peut-être vous aider à choisir un truc nettement plus sympa que ce vibro en plastoc à piles un brin désuet. Votre visage aux joues si sensibles vous en sera reconnaissant !
Pourtant, on n’achète pas d’amour dans un love store, mais bel et bien des sextoys, comme dans un sex-shop classique. La vaginette réaliste et la poupée gonflable Pipedream disponible en version humaine ou mouton ont peut-être été retirées du catalogue (ou pas), mais c’est un détail.
A bien y réfléchir, “love store”, c’est un peu creepy comme terme : si je m’offre un beau vibro et que celui-ci me lâche une déclaration d’amour en pleine utilisation, je vous garantis qu’il passe illico à la poubelle !
Plutôt que d’éviter à tout prix le mot “sexe”, ne serait-il pas temps, au contraire, de se le réapproprier ? Le sexe, ce n’est pas sale, et ça n’a rien de vulgaire, on n’arrête pas de le dire. Votre sexe est une partie de vous, et si tout va bien, une partie que vous aimez beaucoup. Alors pourquoi cette phobie des termes qui le désignent ?